
Vous connaissez ce moment où le bâtiment respire plus fort que vous ? Ce souffle-là, nous l’avons entendu dès que la lourde porte métallique s’est refermée derrière nous. Minuit deux.
Quatre lampes frontales, une valise de matériel, et un sanatorium abandonné depuis 1963 qui paraissait impatient d’avoir de la visite.
Le lieu qui ne dort jamais
Le sanatorium de la Colline était réputé pour deux choses : l’air pur… et les histoires qui empêchent d’en profiter. Incendie partiel, couloir condamné, dossiers dispersés quand l’établissement a fermé. On nous avait parlé d’une aile sud où l’on entend, certains soirs, des pas qui ne veulent pas guérir.
Nous sommes venus en équipe réduite : Léo à la caméra principale, Sam au contrôle audio, et moi à la tête de l’enquête. Objectif : provoquer, documenter, et rester jusqu’au lever du jour.
Mise en place
Dans le hall, nous posons un REM-Pod près de l’escalier, une caméra thermique au fond, et un enregistreur numérique sur le comptoir de l’accueil. Sam sort la Spirit Box — ce petit boîtier qui scanne les fréquences radio à toute vitesse pour laisser, dit-on, une porte aux voix.
— « Si quelqu’un est là, vous pouvez toucher l’antenne rouge. »
Silence. Puis un clic lointain, comme une veille ampoule qui cède. Le REM-Pod reste muet, mais la caméra thermique affiche un point froid à hauteur d’épaule qui glisse vers le couloir. On le suit.
Première réponse
Dans l’ancienne salle de repos, nous installons un K-II (détecteur EMF) sur une table bancale, à côté d’un carnet trouvé sur place : quatre pages d’ordres de soins, datées d’août 1957. Je prends le carnet.
— « Vous reconnaissez ces noms ? »
À la Spirit Box, une syllabe accroche la rafale : “Oui”. Léo relève la tête. Nous reposons le carnet, le K-II clignote jusqu’à l’orange, puis plus rien.
— « Donnez-nous un signe que vous nous entendez. »
Deux coups très nets dans le mur. Pas trois. Deux. Assez pour que le sol en bois réponde.
L’aile sud
Le couloir sud a une fenêtre cassée au bout. Le vent y siffle comme une paille dans un verre vide. Nous plaçons la caméra SLS (celle qui cartographie des silhouettes avec un capteur de profondeur) face aux portes successives. À la troisième, elle dessine une forme, compacte, à un mètre du sol. Assise ? Agenouillée ?
— « Est-ce que vous voulez que nous restions ? »
La silhouette lève un bras. La Spirit Box lâche un mot distinct : “Restez.” Pas un hasard : dans la salle, une chaise roulante renversée, fixée par la poussière comme si elle avait gelé au milieu de sa trajectoire. Le K-II repasse à l’orange.
On s’assoit. On attend. Le temps change de texture.
La salle d’hydrothérapie
C’est l’endroit qui m’a le plus marqué. Carrelage bleu, baignoires profondes, épingles à lumière au plafond et larges fenêtres comme des yeux mi-clos. L’air y est plus froid que partout ailleurs. Nous laissons un thermomètre IR sur le rebord : 10,2 °C. Puis 9,7. Puis 8,9. En août.
— « Quel est votre prénom ? »
La Spirit Box effleure des fragments confus. Puis : “Claire.” Sam ose : « Claire, vous pouvez toucher mon bras ? » Il a à peine fini que le REM-Pod, resté à l’entrée, hurle une seconde, s’arrête, puis repart en pulsations régulières, comme un cœur surexcité. La caméra thermique capte une trace qui contourne la baignoire, s’arrête à hauteur de Sam… et disparaît.
Nous échangeons ce regard qu’on ne peut pas jouer. Celui qui dit : « On l’a. »
Le sous-sol et la glissière
Il y a, sous le sanatorium, une glissière inclinée qui part de l’ancienne salle d’autopsie jusqu’à une porte donnant sur l’extérieur. On l’appelait « la sortie discrète ». Nous descendons, contraints de parler plus bas, comme si une voix plus forte allait réveiller quelque chose.
Dans la salle, on déploie une ligne de petites cloches à la place d’un laser grid. Léo dépose à côté un jouet à remonter, un de ces canards en métal qui avancent en claquant. Je m’accroupis.
— « Si vous êtes plusieurs ici, faites sonner deux cloches. »
La première tinte. Puis la troisième. Nous restons figés. Aucun courant d’air perceptible, pas d’animaux, pas même de poussière soulevée. Sur l’audio brut, plus tard, on retrouvera un murmure entre les deux tintements. À l’oreille humaine, il nous échappe. Après filtrage, on jurerait entendre : “nombreux.”
Avant de remonter, le canard se met à vibrer d’un cran, comme si quelqu’un avait effleuré la clé. Il n’avance pas. Il prévient.
Le moment qui fait basculer une nuit
Retour dans le hall pour une dernière session. « Claire, si c’est bien vous, je laisse ce carnet ici. Pouvez-vous dire au revoir ? » On relance la Spirit Box. Rien. On attend. La fatigue s’invite. Léo baisse sa caméra un instant.
Un pas résonne sur la mezzanine. Un seul, placé. Puis un second, plus proche de la rambarde. La caméra thermique, restée tournée vers l’escalier, montre une forme qui passe comme une flamme inversée, descend trois marches et s’éteint au niveau du comptoir, juste à côté du carnet. La Spirit Box crache enfin, net, “au revoir”. Les lampes frontales vacillent dans le même souffle.
On sort au petit matin. On ne parle pas, pas tout de suite. On écoute les oiseaux, qui semblent presque irréels après une nuit passée à négocier avec l’invisible.
Débrief : ce que les caméras ne montrent pas
Les images vous donneront les temps forts : la silhouette SLS, le point froid, les cloches, l’« au revoir ». Ce qu’elles ne montreront pas, c’est la sensation de présence qui s’installe comme une odeur, ni la façon dont le bâtiment répond quand on le traite comme un interlocuteur.
Les sceptiques y verront des coïncidences, des artefacts, des interférences. Les autres y reconnaîtront un dialogue fragile, mais bien réel, entre deux mondes qui partagent, parfois, la même pièce.
Alors, reviendra-t-on ? Oui. Pas pour prouver. Pour revivre ce moment où le silence se retourne vers vous… et vous répond.
Note finale : cette histoire est fictive. 😊
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